mardi 1 novembre 2011

Atala au tombeau, Anne Louis Girodet de Roussy Trioson, 1808



L'Indien Chactas et le père Aubry enterrent Atala, l'héroïne du roman de Chateaubriand, paru en 1801. Sujet chrétien, cadre exotique, émotion vraie : tout dans cette élégie funèbre devait séduire ceux qui, en marge de la rigueur de David, demeuraient attachés au sacré, à la nature et au sentiment.
Au coucher du soleil, dans une grotte, un vieil ermite nommé le père Aubry soutient le cadavre de la métisse Atala. L'Indien Chactas, accablé de douleur, serre avec passion les genoux de cette jeune fille qui ne s'est pas donnée à lui. Atala, écartelée entre son amour pour Chactas et le voeu fait à sa mère de rester vierge et chrétienne, s'est en effet suicidée. Une croix entre les mains, le buste moulé par une draperie, elle paraît aussi pure que sensuelle. Après une nuit de veille, les deux hommes vont enterrer Atala dans cette grotte. Un verset du livre de Job dans la Bible, gravé sur la paroi du rocher, commente la scène : "J'ai passé comme la fleur, j'ai séché comme l'herbe des champs." Le peintre de ce tableau, Girodet, a puisé son sujet dans un roman contemporain écrit par Chateaubriand, Atala ou les Amours de deux sauvages dans le désert (1801), qui se déroule dans l'Amérique du XVIIe siècle. Ce roman du premier écrivain romantique français était inclus dans le Génie du christianisme, qui avait connu un immense succès. L'ouvrage célébrait la religion catholique au moment où Bonaparte signait le Concordat avec l'Église. L'exotisme, l'apologie de l'innocence des peuples primitifs, le sentiment religieux qui caractérisent le roman se retrouvent dans le tableau. Girodet n'a pas simplement illustré un extrait du roman de Chateaubriand, il en a synthétisé plusieurs passages, délaissant ainsi les sujets antiques chers à son maître David pour un sujet nouveau. La peinture n'a plus pour Girodet, contrairement à David, de fonction morale ou politique.
Girodet exposa son tableau au Salon de 1808, où il rencontra un grand succès. Il fut acheté par Louis-François Bertin, journaliste opposant à l'Empire, et modèle plus tard d'un célèbre portrait d'Ingres (Paris, musée du Louvre). Chateaubriand apprécia le tableau, qui fut ensuite également admiré par un autre écrivain romantique, Charles Baudelaire. Girodet était devenu célèbre lors du Salon de 1793 grâce à une toile fort étrange, Le Sommeil d'Endymion (Paris, musée du Louvre). Il avait le goût de l'innovation tant dans les sujets que dans le style.
Girodet a donné à sa toile la composition d'une scène de l'iconographie chrétienne, La Mise au tombeau du Christ. Cependant, en bon élève de David, il a disposé les figures en frise et son dessin est précis. La figure d'Atala est également d'une beauté idéale, assez irréaliste pour un cadavre. Girodet reprend par ailleurs le clair-obscur donné au Sommeil d'Endymion. La lumière caresse le dos de Chactas, la poitrine et la bouche d'Atala. Sensualité, sentiment et religiosité se dégagent de la toile, qui ainsi est déjà romantique. Le cadre de la scène n'a rien de commun avec les froides architectures de David. Au contraire, il évoque un paysage à la végétation exotique.
- GUEGUAN Stéphane, "De Chateaubriand à Girodet : Atala ou la belle morte", in Chateaubriand et les Arts, Paris, Éditions de Fallois, 1999, pp. 137-152.